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Climat : agir malgré les incertitudes

Face à la contestation populaire des mesures politiques comme le refus de la loi CO2 en Suisse, une évolution du discours paraît souhaitable si nous voulons atteindre les objectifs fixés à la Conférence de Paris en 2015 (COP21) et ratifiés par la Confédération.

Parmi les nombreux textes que j’ai lu ces dernières années sur la thématique du climat, un article paru en 2017 dans le journal québécois La Presse m’a profondément interpellé. Intitulé « Changements climatiques : le piège du consensus scientifique », il relate les conclusions d’une conférence donnée au Centre de recherches en mathématiques de l’Université de Montréal. Celles-ci sont malheureusement toujours valables 5 ans plus tard et je reproduis le texte ci-après.

Roger Cook est professeur de mathématiques et spécialiste de l’analyse des risques à l’Université de Delft aux Pays Bas. Ancien rédacteur des rapports du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), il explique en quoi les experts du GIEC raisonnent mal dans leur manière de communiquer les incertitudes. La conséquence est importante puisque cela inverse la charge de la preuve et donne ainsi de l’eau au moulin des opposants, les bien mal nommés « climatosceptiques » (Diderot n’a-t-il pas dit que le scepticisme est le premier pas vers la vérité ?). Extrait de l’article :

« Il est prévu, par exemple, que la concentration de CO2 dans l’atmosphère doublera d’ici 2100 par rapport à son niveau de l’ère préindustrielle si rien n’est fait pour ralentir nos émissions. Quelle augmentation de température cela entraînera-t-il ? La science actuelle nous permet de tracer une courbe de probabilités. Elle va de 1 °C, ce qui aurait peu de conséquences, à 6 °C, ce qui serait catastrophique. La réalité est que personne ne peut prouver que continuer au rythme actuel entraînerait de graves dommages. Mais personne ne peut prouver non plus qu’il n’y en aurait pas ! »

Les incertitudes sur l’évolution future du climat ne doivent donc pas nous empêcher d’agir car les conséquences sont potentiellement trop graves. Le professeur Cook a raison de dire : « Il faut décider avant de savoir. Attendre de voir n’est pas une option. »

Les objectifs de limitation des émissions de gaz à effet de serre de la Confédération et des cantons sont compatibles avec ceux du développement durable, soit la recherche d’un équilibre au bénéfice de toutes et tous, et particulièrement des plus faibles, entre les activités économiques, les rapports sociaux et la préservation de l’environnement. Parmi ces objectifs figurent entre autres l’arrêt du gaspillage des ressources et le développement de celles qui sont renouvelables. Chaque fois dans le respect de la biodiversité et dans une optique d’économie circulaire.

Si les risques climatiques représentent une menace potentiellement catastrophiques pour les générations futures, les solutions identifiées constituent aussi une chance pour accéder à un avenir commun plus harmonieux dans le respect de la dignité de chacun.

Roger Cook est professeur de mathématiques et spécialiste de l'analyse des risques à l'Université de Delft aux Pays Bas.
Roger Cook est professeur de mathématiques, spécialiste de l’analyse des risques à l’Université de Delft aux Pays Bas et ancien rédacteur du GIEC.

Changements climatiques: le piège du consensus scientifique

En misant sur les consensus scientifiques pour faire passer leur message, les chercheurs qui parlent des changements climatiques communiquent mal l’incertitude liée à leur science. Résultat: ils se retrouvent avec le fardeau de la preuve et sont en train de perdre la bataille contre les climatosceptiques. C’est le message que lance l’expert en analyse de risques Roger Cooke, qui veut renverser la discussion… pour provoquer l’action.

Publié le 19 octobre 2017

Auteur : Philippe Mercure LA PRESSE

https://www.lapresse.ca/environnement/dossiers/changements-climatiques/201710/19/01-5140506-changements-climatiques-le-piege-du-consensus-scientifique.php

Les scientifiques ont une « grande confiance » dans le scénario voulant que la Terre soit en train de se réchauffer. Ils ont une « grande confiance » dans l’idée que l’être humain est responsable de ce réchauffement. Et ils ont encore une « grande confiance » dans l’hypothèse que les changements climatiques entraîneront des impacts pendant plusieurs décennies.

Roger Cooke n’en peut plus de ces affirmations. Ce mathématicien américain expert en analyse de risques, aujourd’hui rattaché à l’Université de Delft, aux Pays-Bas, a pourtant déjà rédigé des chapitres des rapports du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la bible en matière de changements climatiques. Mais il estime que le GIEC erre dans sa façon de rapporter les incertitudes inhérentes à la science du climat.

« Les gens du GIEC ont une façon fautive de raisonner et de communiquer à propos des incertitudes. Ils ne comprennent pas le raisonnement probabiliste, et ça a des conséquences terribles », a-t-il dit à La Presse en marge d’une conférence prononcée hier au Centre de recherches mathématiques de l’Université de Montréal.

Le mathématicien compare les affirmations du GIEC à… un dé. Chaque fois que vous jetez le dé, vous pouvez être raisonnablement sûr de ne pas obtenir un six. Mais ça ne veut surtout pas dire qu’à force de lancer le dé, vous pouvez avoir l’assurance de ne jamais obtenir de six !

C’est la même chose, soutient-il, lorsqu’on se retrouve devant une longue liste d’énoncés scientifiques en lesquels les chercheurs nous disent avoir une « grande confiance ».

« Ça ne nous dit presque rien sur le degré de certitude qu’on doit avoir dans l’ensemble de l’affaire. Et c’est ça, le problème. Ça ne nous dit rien sur ce qu’on a vraiment besoin de savoir. C’est ce que j’appelle le « piège de la confiance ». Dans la vie quotidienne, tout le monde tombe dans le piège, tout le temps. Et c’est aussi le cas des scientifiques, y compris ceux du GIEC. »

Perdre la bataille

L’argument peut sembler pointu et technique. Mais pour Roger Cooke, il explique en grande partie pourquoi les défenseurs du climat sont en train de perdre la bataille face aux climatosceptiques.

« Ce n’est pas comme si ça avait été un grand succès jusqu’à maintenant. Donald Trump est à la Maison-Blanche ! Soyons francs, nous perdons ce débat actuellement. »

Selon Roger Cooke, les scientifiques insistent trop sur les fameux « consensus scientifiques ». « Le GIEC considère que sa mission est de réunir tous les aspects sur lesquels nous nous entendons et de les présenter comme un consensus, estime-t-il. Le résultat, c’est qu’il y a moins d’attention sur les choses qu’on ne connaît pas. Et ces choses inconnues sont très importantes pour évaluer les décisions à prendre. »

Les scientifiques, plaide encore le professeur Cooke, sont en train de « créer un récit qui dit qu’ils ont une « grande confiance », et ils finissent par raisonner comme si c’était une certitude ».

Le résultat, terrible à ses yeux, est que les scientifiques se retrouvent à devoir prouver ce qu’ils avancent dans l’espace public. « Le fardeau de la preuve est complètement asymétrique et repose sur un seul camp. L’autre n’a qu’à dire : « Vous devez prouver ces changements, sinon, nous, on ne fait rien. » »

La solution ? Selon Roger Cooke, il faut bien expliquer les incertitudes liées au climat. Il est prévu, par exemple, que la concentration de CO2 dans l’atmosphère doublera d’ici 2100 par rapport à son niveau de l’ère préindustrielle si rien n’est fait pour ralentir nos émissions. Quelle augmentation de température cela entraînera-t-il ? La science actuelle nous permet de tracer une courbe de probabilités. Elle va de 1 °C, ce qui aurait peu de conséquences, à 6 °C, ce qui serait catastrophique.

« La réalité est que personne ne peut prouver que continuer au rythme actuel entraînerait de graves dommages, dit Roger Cooke. Mais personne ne peut prouver non plus qu’il n’y en aurait pas ! »

Cette incertitude, l’expert invite la communauté à la faire sienne et à l’accepter. « La plupart des gens ne sont pas prêts à faire face aux incertitudes. Or, il faut les encourager et leur faire comprendre qu’ils doivent prendre des décisions avant de savoir. Il faut décider avant de savoir. Attendre de voir n’est pas une option. »